Georges Brassens : une ekphrasis mélodique (XVIIe siècle)

Publié le par Interdisciplin'art

 

Le terme d'ekphrasis vient du grec ekphrasein qui veut dire "expliquer dans le détail". Déjà usitée durant l'Antiquité, une ekphrasis désigne la description littéraire d'une oeuvre d'art. Bien que Georges Brassens n'ait eu aucune intention de réaliser une ekphrasis en composant ses chansons, en écoutant certaines d'entre elles, on ne peut être que frappé par la correspondance que l'on retrouve entre ses textes et certaines oeuvres.

 

C'est en partie dans le XVIIe siècle de Molière, de Pierre Corneille ou de Miguel de Cervantès de Saavedra que Georges Brassens nous propulse avec ses chansons. La peinture française du XVIIe siècle est marquée par plusieurs peintres : Charles Le Brun, décorateur du château de Versailles, Georges de La Tour ou Nicolas Poussin. Peintre d'histoire, ce dernier a peint de nombreuses scènes religieuses et mythologiques empreintes de classicisme. Il est notamment l'auteur d'une Bacchanale où Dionysos et sa suite sont célébrés. Les personnages s'amusent, boivent et montrent une certaine légèreté de moeurs. Il s'agit d'un lieu, d'un siècle où Bacchus et Aphrodite/Vénus avaient droit de cité ; plus encore, ils régnaient. C'est dans Le grand Pan que l'on retrouve le témoignage de cet "Âge d'or" :

 

 

"Du temps que régnait le grand Pan,

Les dieux protégeaient les ivrognes :

Un tas de géni's titubant,

Au nez rouge, à la rouge trogne.

Dès qu'un homm' vidait les cruchons,

Qu'un sac à vin faisait carousse,

Ils venaient en bande, à ses trousses,

Compter les bouchons.

Le plus humble piquette était alors bénie,

Distillée par Noé, Silène et compagnie,

Le vin donnait un lustre au pire des minus

Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.

[...]

Quand deux imbéciles heureux

S'amusaient à des bagatelles,

Un tas de géni's amoureux

Venaient leur tenir la chandelle.

Du fin fond des Champs-Elysées,

Dès qu'ils entendaient un "Je t'aime",

Ils accouraient à l'instant même

Compter les baisers.

La plus humble amourette était alors bénie,

Sacré' par Aphrodite, Eros et compagnie.

L'amour donnait un lustre au pire des minus

Et la moindre amoureuse avait tout de Vénus.

[...]"

 

A sa façon, Brassens célèbre aussi le fameux vers de Térence "Sine Ceres et Liber friget Venus" que l'on peut traduire par "Sans Cérès et Bacchus, Vénus reste froide"...

 

Dans d'autres chansons, il parle de personnages quotidiens, pauvres, miséreux et/ou bagarreurs. En témoignent deux chansons.

 

La première est  Hécatombe. Décrivant une scène où les clientes sur un marché se battent entre elles et sont séparées par la gendarmerie. Or c'est sur ces officiers que "ces braves pandores" défoulent leur colère. Le premier couplet de cette chanson rappelle les scènes de marché que l'on trouve dans l'iconographie française du XVIIe siècle, notamment sur les éventails : au milieu d'un marché, deux femmes en train de se battre constituent un lieu commun dans l'iconographie de cette période.

 

Cette  scène transcrite par Georges Brassens donne ceci :

 

"Au marché de Briv'-la-Gaillarde,

A propos de botes d'oignons

Quelques douzaines de gaillardes

Se crêpaient un jour le chignon.

A pieds, à cheval, en voiture,

Les gendarmes mal inspirés,

Vinrent pour tenter l'aventure

D'interrompre l'échauffouré'"

 

 

La seconde chanson évoquant la "populace" est La princesse et le croque-note.  En écoutant les paroles, il nous vient tout de suite à l'esprit les "bambochades", peintures dont le nom vient de Bamboccio (Le Bamboche), surnom donné au peintre Pieter van Lear lorsqu'il a séjourné en Italie.

 

En France, c'est Sébastien Bourdon qui est surtout connu pour avoir peint des tableaux dans ce style qui sont tout droit inspirés des romans picaresques de l'Espagne du XVIe siècle. Ces romans sont issus du mot picaro qui signifie "gueux, misérable" et qui constitue le terme éponyme du genre ; le picaro désigne le héros ou plus exactement l'anti-héros de ces romans.

 

Dans La Princesse et le croque-note, les deux premiers couplets de la chanson décrivent parfaitement les personnages de ces bambochades.

 

 

"Jadis, au lieu du jardin que voici,

C'était la zone et tout ce qui s'ensuit,

Des masures, des taudis insolites,

Des ruines pas romaines pour un sou.

Quant à la faune habitant là-dessous

C'était la fine fleur, c'était l'élite.

 

La fine fleur l'élite du pavé,

Des besogneux, des gueux, des réprouvés,

Des mendiants rivalisant de tares,

Des chevaux de retour, des propre'-à-rien,

Ainsi qu'un croque-note, un musicien,

Une épave accrochée à sa guitare."

 

 

 

A suivre : le XVIIIe siècle

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