Claude Tillier et Georges Brassens : une intertextualité philosophique

Publié le par Interdisciplin'art

 

Dans un précédent article, je présentais le roman de Claude Tillier, Mon oncle Benjamin (cliquer ici). Je traite ici de l'intertextualité entre le romancier et le poète-chanteur. Ce dernier disait, au cours de l'une de ses interviews : "Dans Mon oncle Benjamin, il y a tout !". Et par "tout", le chanteur français entend par là toute sa philosophie de vie. En effet, en lisant le roman de Claude Tillier et en écoutant les chansons de Georges Brassens, on ne peut être que frappé par la similitude des idées des deux auteurs.

 

La question du mariage est centrale pour Benjamin Rathery. Tout comme le héros du roman de Claude Tillier, Brassens refuse l'institution du mariage. Prenons l'exemple de La non-demande en mariage : "De servante n'ai pas besoin, / Et du ménage et de ses soins / Je te dispense... / Qu'en éternelle fiancée, / A la dame de mes pensées / Toujours je pense...". Mais au-delà du mariage, c'est aussi de la femme dont il est question.

 

La liberté de la femme. Voici un thème cher à Brassens. Dans le roman de Tillier, mademoiselle de Minxit n'est pas libre de choisir l'homme qu'elle veut épouser. Et sa fuite avec l'homme qu'elle aime donne lieu à une fin tragique. Ce thème de la liberté de la femme se retrouve dans les chansons de Brassens. Certains considèrent Brassens comme un misogyne à travers certaines chansons telles que Misogynie à part, Une jolie fleur, Fernande, Les casseuses, etc.  D'autres chansons présentent une vision opposée du sexe féminin (Le blason, Les sabots d'Hélène, Jeanne, Rien à jeter, Saturne, etc.). En réalité, ni misogyne, ni féministe, Brassens considère les femmes tout simplement comme des êtres humains, ni meilleures, ni plus mauvaises que les hommes. D'où l'éventail des personnages que l'on trouve dans son répertoire où marquises et prostituées apparaissent au même niveau.Prenons pour exemple La complainte des filles de joie qui parle de la vie difficile des ces femmes et qui rappelle que personne n'est à l'abri de se trouver dans cette situation : "Fils de pécore et de minus, / Ris pas de la pauvre Vénus [...] / Il s'en fallait de peu, mon cher, / Que cette putain ne fût ta mère". Claude Tillier comme Brassens réfutent le postulat selon lequel la femme appartient à un homme pour en faire un être humain doté de son libre-arbitre et pouvant disposer de sa vie comme elle le souhaite.

 

Benjamin Rathery et Georges Brassens ont d'autres idées en commun. Tous deux anarchistes, s'élevant contre l'autorité établie, ils sont heureux au milieu de leurs amis. Si Benjamin Rathery provoque le vicomte avec son épée, Brassens provoque l'autorité avec ses vers notamment dans Le Gorille ou Hécatombe. C'est d'ailleurs dans cette seule chanson que Brassens lâche le mot en disant "Mort aux lois ! Vive l'anarchie". L'amitié, quant à elle, est omniprésente chez Brassens et est cristallisée dans la chanson Les copains d'abord. En écoutant les paroles de cette chanson, on pourrait très bien les imaginer dans la bouche de Benjamin Rathery et elles auraient pu servir d'épitaphe sur la tombe de monsieur de Minxit : "Au rendez-vous des bons copains / Y'avait pas souvent de lapins, / Quand l'un d'entre eux manquait à bord, / C'est qu'il était mort. / Oui mais jamais, ô grand jamais, / Son trou dans l'eau ne se refermait,  / Cent ans après, coquin de sort / Il manquait encore !"

 

Claude Tillier et Georges Brassens renversent également l'ordre des choses en ce qui concerne "les bonnes gens". Ces gens de bien ne sont pas ceux que l'on croit. Bien au contraire.  Ainsi dans le répertoire de Brassens trouve-t-on des chansons où les personnages vivent une sorte de rédemption et où tous, ont droit au "Paradis". On retrouve notamment cette idée dans L'assassinat : "C'est une larme au fond des yeux / Qui lui valut les cieux." Plus éloquente est encore la Chanson pour l'Auvergnat, chanson écrite par Brassens pour rendre hommage à Marcel Planche, époux de "la Jeanne" : "Toi, l'Auvergnat, quand tu mourras, / Quand le croque-mort t'emportera, / Qu'il te conduise, à travers ciel, / Au Père éternel." Ce sont, à leur façon, des anti-héros que l'on croirait issus des romans picaresques, prouvant ainsi, qu'au-delà des groupes et des étiquettes, c'est l'être humain qui compte avant tout.

 

Dans le roman de Claude Tillier, on retrouve donc toute la philosophie de Georges Brassens ou plus exactement, chronologie oblige, la philosophie de Claude Tiller est présente dans les chansons de Brassens. Il n’est pas étonnant que cet ouvrage ait été SON livre de référence. Il obligeait d'ailleurs ses amis à le lire et disait lui-même que l’on ne pouvait pas rentrer dans son cercle d’amis sans être passé par cette étape obligatoire de la lecture de ce livre !


Du roman du XIXe siècle à la chanson française du XXe siècle, il n'y a qu'un pas littéraire et philosiphique ; un  exemple d'interdisciplinarité.

 


Publié dans littérature

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